Fondatrice de l’association Puissance Dys, cette chercheuse a conçu une méthode innovante, fondée sur les neurosciences, pour repérer et rééduquer les enfants et les adultes atteints de troubles « dys ». Elle la décline en une appli, baptisée Dysplay.

Dyslexique ? Pour Béatrice Sauvageot, ce terme n’a rien de pathologique. Au contraire, pour elle, c’est une grande force. « J’accueille depuis 30 ans des enfants, des ados et des adultes que l’on dit atteints de « troubles dys » (dyslexie, dyscalculie, dysphasie, dysorthographie ou dyspraxie), explique-t-elle. Et j’ai radicalement changé de regard sur eux. Ils n’ont pas de troubles, mais une disposition cérébrale différente, c’est-à-dire une autre forme d’intelligence encore largement inexplorée. Ils perçoivent plus d’images, d’odeurs, de sons, de couleurs que nous. Ils voient 36 images par seconde, et non 24. Devant un film en 3D, ils n’ont pas besoin de lunettes ! Les dys ne dysfonctionnent pas. Ils sont géniaux ! »

Un sourire espiègle, une intelligence vive, un regard-laser qui analyse tout et une énergie inépuisable : Béatrice passe très vite au tutoiement et suscite d’emblée la sympathie. Avec elle, pas de chichi, elle va à l’essentiel et parle avec passion de « ses » dys. « A les fréquenter, je deviens moi-même hyper-intuitive ! » s’amuse-t-elle. Mais son regard devient grave dès qu’elle évoque leur souffrance. « En démarrant mes études d’orthophonie, j’ai découvert un continent de douleur, raconte Béatrice. Des enfants et des adultes désespérés, systématiquement trahis par la lecture. Les lettres dansent devant leurs yeux, ils déchiffrent péniblement, confondent le sens des mots. Dans notre société fondée sur l’écrit, c’est très invalidant et vécu avec un sentiment de honte. On les traite injustement d’idiots ou de paresseux. Beaucoup sont blessés profondément, paralysés par la peur. Dès qu’ils saisissent un crayon, c’est une humiliation. Ils ont l’écrit muet, fauché. Ils vivent leur dyslexie comme un handicap ». Toute la famille en souffre : « Etre parent d’enfant dys, ce n’est pas difficile, cela relève de l’exploit ! Ils me disent souvent : on n’a plus de vie. »

Selon l’OMS, près de 12% de la population mondiale serait touchée par ces difficultés à lire, écrire ou calculer. Et une personne sur 5 souffre, ou a souffert, de troubles dys ou de problèmes d’apprentissage. Le phénomène inquiète l’Education Nationale. Et les parents désemparés se ruent chez les orthophonistes. Afin de les aider, Béatrice a créé à Paris en 1992 l’association Puissance Dys, un centre pédagogique, thérapeutique et de recherche totalement innovant, avec une équipe pluridisciplinaire, pour sortir les dys de cette spirale de l’échec. « Grâce à notre connaissance du fonctionnement du cerveau dys, nous avons mis au point des centaines d’outils, d’exercices et de jeux pour rééduquer les dys et leur redonner confiance en eux ».

La découverte de la dyslexie, un « vrai choc »

Devenir orthophoniste, Béatrice n’y songeait pas spécialement dans sa jeunesse. « Enfant, je rêvais de devenir journaliste, clown et musicienne ». Née à Nice, d’un père rugbymen et d’une mère prof de français et d’espagnol, elle grandit à Abidjan, en Côte d’Ivoire. « Je n’ai jamais été dyslexique mais j’ai connu la souffrance du handicap. A 18 mois, j’ai contracté une poliomyélite qui m’a laissé des séquelles à la jambe. Comme les dys, j’évolue dans un monde qui n’a pas été pensé pour moi ». Elle découvre la dyslexie à travers Joseph, son babysitter burkinabé qu’elle adore. « Il parlait 7 langues mais il n’arrivait pas à apprendre à lire et à écrire, malgré les nombreuses tentatives de ma mère. Avec lui, la dyslexie a imprégné mon enfance ». Elle rentre en France à l’âge de 8 ans. « Ce fut un vrai choc. J’avais un accent ivoirien à couper au couteau. Je n’aimais pas l’école, je me faisais souvent gronder. J’étais aussi régulièrement punie car j’arrivais en retard en cours à cause de ma jambe boiteuse ».  Son enfance africaine lui a donné le goût des sons, des langues et des musiques. A 22 ans, elle passe le diplôme d’orthophonie. « J’ai travaillé un an dans un cabinet. Mais je voyais bien que les méthodes classiques ne fonctionnaient pas, ou mal, avec les enfants dyslexiques. Je ne comprenais pas non plus pourquoi on s’acharnait à vouloir soigner des personnes qui n’étaient pas malades. J’ai alors songé à changer de voie. Une orthophoniste de l’équipe m’a dit : au lieu de changer de métier, change le métier. Ce fut un déclic pour moi ».

 

 

Béatrice se spécialise en neurologie. A la Pitié Salpêtrière, elle rencontre celui qui devient son mentor : l’écrivain Jean Matellus, qui était neurologue, linguiste et poète. Ensemble, ils fondent l’association Puissance Dys, qui réunit des scientifiques, des artistes, des enseignants et des thérapeutes. Elle publie avec lui Vive la dyslexie (J’ai Lu). Au fil de ses recherches, Béatrice crée une méthode ludique et révolutionnaire, qui s’appuie sur l’expression artistique et corporelle, en mêlant musique, chant, danse et rire. « Je m’appuie sur l’éveil des sens et je réinjecte du plaisir dans l’apprentissage de l’écrit. Un dys ne peut apprendre qu’en mouvement. Il voit le monde de façon spatiale et graphique, comme Léonard de Vinci ou Rodin, qui étaient eux-mêmes dyslexiques. Quand les dys arrivent chez moi, je ne pointe pas leurs défaillances, mais je leur fais un bilan de leurs compétences et de leurs points forts sur lesquelles la rééducation va s’appuyer. Chaque thérapie est adaptée à la personnalité de l’enfant et à ses besoins ».

Primée par la Fondation de France, sa méthode a fait ses preuves et enchante les parents. « J’ai créé notamment un alphabet et une langue neurologique, que j’appelle la bilexie, lisible de façon immédiate par les dyslexiques, qui existe pour le logiciel Word. En quelques semaines, les résultats sont spectaculaires. Les enfants dys progressent à vue d’œil, ils apprennent rapidement à lire et à écrire. Plusieurs, qui étaient les derniers de la classe, se retrouvent parmi les premiers. Ils retrouvent confiance en eux, autonomie dans leurs apprentissages et joie de vivre. Ils peuvent exprimer pleinement toutes leurs potentialités. Ils vivent une réelle transformation. La dyslexie n’est pas une maladie, mais une identité riche, créative et empathique ».

De futurs Einstein puissance dys ?

Soutenue par le groupe de protection sociale Malakoff Mederic Humanis, Béatrice va lancé sa méthode innovante en version digitale, Display, pour enfants, ados et adultes, afin de diagnostiquer et de rééduquer les dys. « L’augmentation du nombre d’enfants dys n’a pas de rapport avec l’expostion précoce aux écrans, explique-t-elle. Simplement, on les détecte davantage aujourd’hui. On nait dys, c’est héréditaire, selon l’Encyclopédie Chirurgicale et Médicale. Mais attention, il y a aussi des enfants dont les parents ne s’occupent pas, ou qui vivent dans des lieux défavorisés et qui n’arrivent pas à suivre à l’école. On les déclare dys alors qu’ils sont juste en retard. C’est pour cela que Malakoff Médéric Humanis nous a demandés de faire avec Dysplay un dépistage gratuit, pour ne pas se tromper. Il y a plus de 100 questions et un résultat de tests très sérieux. On n’attend plus, on peut le faire à la maison ou à l’école. Je propose des exercices, des jeux et des vidéos exclusifs, ainsi que des audiocaments pour stimuler les sens et la plasticité cérébrale. Les dys ont souvent une appétence pour les écrans car ils ont soif d’apprendre. Ils s’approprient des notions d’apprentissage que ne fournit pas l’école. Ils ont accès à des mécaniques de jeux qui les aident à mettre en place la logique et à exercer leur mémoire». Hypersensibles, originaux, intelligents, oniriques et intuitifs, les dys ont leur propre monde et un immense potentiel créatif, conclut Béatrice. Je m’émerveille chaque jour de la richesse de leur personnalité. Ils ressemblent à des mutants ». Ou à des futurs Einstein puissance Dys ?

e-orthophonie*

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