Trop longtemps négligés, les pouvoirs olfactifs sur la vie émotionnelle sont de plus en plus considérés. Orthophoniste et docteur en neurosciences et en sciences de l’ingénierie, le Dr Auriane Gros exerce au CHU de Nice. Elle est enseignant-chercheur à l’université Nice-Côte d’Azur au sein du laboratoire CoBTeK (Cognition Behaviour Technology) et directrice pédagogique du département d’orthophonie de Nice.

L’olfaction et ses pouvoirs thérapeutiques sont-ils considérés de manière nouvelle ?

Indéniablement, voilà un sens qui revient sur le devant de la scène. Pendant des siècles, il était plutôt d’usage de dissimuler les odeurs, qu’il s’agisse de transpiration ou des effluves d’éther dans les hôpitaux. Ce camouflage a généré un désintérêt pour l’odorat. On savait bien pourtant que dans les troubles de l’oralité, par exemple lorsqu’un bébé souffre d’un défaut de succion, le mettre en contact avec l’odeur maternelle pouvait l’inciter à téter. Nous savions aussi que de nombreuses personnes font un usage satisfaisant des huiles essentielles, mais nous manquions de données effectives. Pour voir s’intensifier les recherches sur l’odorat, il a notamment fallu le prix Nobel de 2004 attribué à Richard Axel et Linda Buck pour leurs travaux sur les récepteurs olfactifs. Mais nous avons encore beaucoup à faire. Nous savons que 80% des odeurs identifiées sont plutôt désagréables, et que l’homme peut distinguer un milliard de milliards de senteurs différentes! Mais nous manquons du lexique nécessaire pour les répertorier…

Sur quels domaines se concentrent vos recherches ?

Principalement sur le rôle des odorants dans le dépistage précoce de la maladie d’Alzheimer, et l’apport de l’olfaction pour ramener à un ressenti émotionnel les patients qui souffrent d’apathie et voient leurs émotions émoussées. L’odorat est le seul sens qui puisse s’expérimenter dans une double voie: il peut y avoir un relais au niveau du cortex orbito-frontal et du cortex limbique (émotionnel), et nous prenons alors conscience de l’odeur ; ou bien le cortex olfactif envoie l’information directement au cerveau limbique sans passer par la voie de la conscience. La composante amygdalienne et donc les émotions peuvent être réactivées dans tous les cas. Si l’on fait sentir l’odeur du pain chaud à un malade d’Alzheimer qui a été boulanger, il ne pourra pas forcément identifier cette odeur mais il y restera particulièrement sensible. On l’observe aussi avec les victimes d’attentat ou les personnes ayant subi un grave traumatisme: les odeurs de sang réveillent la mémoire émotionnelle.

Le vécu individuel compte donc beaucoup ?

Oui, l’odeur d’herbe coupée parlera à certains et pas à d’autres. C’est pour cela que nous ciblons le vécu de la personne que nous cherchons à stimuler ou apaiser. L’origine culturelle est aussi importante: à Taïwan, on ne supporte pas l’odeur de lait chaud mais on raffole des œufs de cent ans et de leur odeur de pourri! La réactivité à certaines odeurs est aussi liée aux habitudes alimentaires. En Inde, le parfum du clou de girofle régale car il est utilisé dans de nombreux desserts, alors que chez nous il évoque le dentiste…

Mais certaines molécules ont des vertus générales…

Le linalol, molécule de la lavande, a des vertus anxiolytiques ; les odeurs «vertes» (pomme, herbe coupée) apaisent… Dans notre laboratoire, nous cherchons des molécules permettant de calmer des états de stress. Pour cela, nous prenons des mesures physiologiques suite à l’exposition aux odorants, telle la réponse électrodermale (en lien avec la sudation). Mais il semble important d’envisager une utilisation à long terme pour constater des améliorations durables sur les aspects comportementaux. Chez les malades d’Alzheimer qui montrent des états d’agitation ou qui ont besoin d’être dynamisés, nous procédons pendant six mois au moins, à leur domicile, à des diffusions d’odorants. Parfois, ces prescriptions sont mal acceptées car les malades ont l’impression de ne rien sentir. Mais l’effet actif des molécules n’en est pas moins certain.

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