Quelles sont les manifestations, les causes, les difficultés et les besoins d’accompagnement liés à la dyslexie ? Avec Rose-Marie Lirola, orthophoniste chargée d’enseignement à l’université Pierre et Marie Curie à Paris, nous faisons le point sur ce trouble qui concernerait 4 à 5% des élèves d’une classe d’âge… mais aussi de nombreux adultes dont les difficultés étaient beaucoup moins prises en charge lorsqu’ils étaient enfants.

Combien de personnes, enfants ou adultes, sont touchées par ce problème ?

Rose-Marie Lirola – On estime qu’entre 5 et 15% des enfants d’âge scolaire seraient touchés. Cette prévalence vaut pour le monde et comprend les domaines de la lecture/écriture et les mathématiques, donc pas seulement la dyslexie. En France ce trouble concernerait 4 à 5% des élèves d’une classe d’âge. Ces chiffres varient beaucoup selon les langues et les cultures puisque cela dépend du degré « d’opacité » de la langue. Dans certaines langues, chaque lettre représente un son et un seul, alors que dans d’autres langues (comme le français), une lettre peut avoir différentes prononciations. Par exemple, en français, le « c » peut se prononcer “k” ou “ss”. En polonais, contrairement au français, chaque lettre a son propre son, ce qui simplifie l’apprentissage de la lecture mais qui complexifie la détection de la dyslexie.

Mais justement quels sont les symptômes de la dyslexie ?

R-M. L. – C’est une difficulté persistante, durable, à associer un son (phonème) à une lettre (graphème) qui entraîne des difficultés à décoder. Les personnes qui souffrent de dyslexie ont des difficultés dans la reconnaissance exacte et fluide des mots, une lecture lente, un décodage haché. La plupart du temps, les personnes dyslexiques ont une dysorthographie associée, c’est-à-dire des difficultés à apprendre l’orthographe des mots et à les retenir de manière durable. Il faut savoir qu’aujourd’hui on parle moins de dyslexie, de dysorthographie ou de dyscalculie mais plutôt de « troubles spécifiques des apprentissages avec déficit en lecture et/ou en expression écrite et/ou du calcul ».

Et quelles en sont les causes ?

R-M. L. – La dyslexie est un trouble du neuro-développement lié au dysfonctionnement de ce que l’on appelle la « visual word form area », une partie du cerveau située sur la gauche de la tête, en arrière de l’oreille. On pense que ce dysfonctionnement serait dû, au stade embryonnaire, à une migration particulière des cellules dans le tube neural au moment de la formation des deux hémisphères du cerveau, peut-être liée à des facteurs environnementaux. D’autre part, il y a aussi des causes génétiques à la dyslexie, un fort taux lié à l’hérédité, mais on sait aujourd’hui que si l’on entraîne ou rééduque les enfants présentant une dyslexie cela peut modifier leur système nerveux au niveau moléculaire et permettre d’augmenter la chance que leur descendance ait une dyslexie moins forte. Pour illustrer ce que représente la dyslexie, on peut dire que c’est comme le lien entre un interrupteur et une lampe : l’interrupteur c’est la lettre, la lampe c’est la façon dont se prononce cette lettre et le problème c’est le fil électrique qui représente le travail du cerveau durant la lecture, c’est comme si le réseau était ralenti.

Peut-on parler d’une maladie ?

R-M. L. – C’est aux patients de le dire ! Il faut surtout souligner que beaucoup ont des habiletés incroyables dans d’autres domaines, le dessin, la conceptualisation en trois dimensions, une perception très fine des détails et une grande intelligence émotionnelle. Les personnes qui souffrent de dyslexie sont souvent des personnes très humaines.

Au-delà des symptômes classiques, quels autres troubles peuvent connaître les patients dyslexiques ?

R-M. L. – Ils rencontrent souvent des problèmes dans l’exécution de certaines tâches, pour les enfants par exemple, préparer un cartable sans oublier livres, cahiers, lunettes … Chez les étudiants, on constate parfois des évitements des activités qui requiert des compétences scolaires ou universitaires, des difficultés à intégrer des changements dans leur emploi du temps, à respecter des horaires de rendez-vous en étant soit en retard soit trop en avance.

Peut-on guérir de la dyslexie ?

R-M. L. – Non, au même titre que vous aurez les yeux bleus ou marrons toute votre vie, la personne dyslexique aura toujours une lenteur résiduelle à la lecture des textes, même si elle lira presque normalement. Mais je veux souligner que c’est un problème de décodage, pas de compréhension : il y a des enfants qui décodent très bien mais qui ne comprennent pas ce qu’ils lisent, et, cela, ce n’est pas de la dyslexie!

Qui pose le diagnostic de la dyslexie ?

R-M. L. – C’est l’orthophoniste, à partir de critères bien définis. Cela se fait à travers une consultation qui commence par un entretien clinique qui permet d’identifier d’éventuels problèmes de vue, d’audition, de voir s’il y a des antécédents familiaux et quand et comment ont commencé les difficultés. Pour les adultes cet entretien clinique est très important pour faire un retour sur les difficultés rencontrées durant l’enfance. Cette première partie de consultation, c’est ce qui va nous mettre sur la piste. Ensuite, il y a une série de tests qui permettent d’évaluer divers critères et d’établir un écart type par rapport à la moyenne. Si cet écart est en dessous d’un certain seuil alors c’est qu’il y a une pathologie.

Et ensuite, comment se passe la prise en charge ?

R-M. L. – A partir du diagnostic qui sert à évaluer la gravité du problème, on définit le protocole de soins qui est différent selon les cas. La littérature prévoit une prise en charge de 20 minutes 5 jours par semaine … On ne peut pas tenir ce rythme dans la réalité ! Pour ma part, je propose deux séances par semaine. Avec une implication de la famille. Mais ce point fait débat … En ce qui me concerne, pour les patients enfants, je considère que cette implication des parents, au-delà du fait qu’elle permet la poursuite de certains exercices à la maison, apporte une vraie prise de conscience et facilite le suivi de l’évolution.

Mais concrètement, quels sont les exercices pratiqués lors de ces séances ?

R-M. L. – Sur ce point non plus il n’y a pas de consensus. D’abord, la théorie la plus admise est de distinguer trois types de dyslexie, la dyslexie phonologique,, la dyslexie visuo-attentionnelle et celle qui est mixte. Certains auteurs parlent même de 18 types différents dont ceux liés aux troubles visuels, mais nous ne sommes pas là pour en débattre … Pour la dyslexie phonologique, par exemple, je fais travailler mes patients sur le traitement des sons (la phonologie). Il faut savoir qu’une personne dyslexique entend toute la variation des sons : quand vous prononcez à plusieurs reprises le son « p », le patient peut entendre toutes les variations possibles de ce son ; comment voulez-vous qu’il écrive correctement la lettre puisqu’il a entendu des sons différents à chaque fois que vous avez prononcé le mot? Donc je travaille beaucoup sur des mots à découper en syllabes pour analyser la macrostructure, puis un travail plus fin des mots dans lesquels manipuler les phonèmes. Ceci toujours avec un passage à l’écrit et avec des mots très simples au départ et de complexité croissante. Pour la dyslexie visuo-attentionnelle, il y aurait un trouble le nombre de lettres qui peuvent être traitées/vues simultanément dans une séquence de plusieurs lettres. Les exercices qui ont fait l’objet d’une validation scientifique, se déroulent en partenariat fort avec la famille car c’est un programme intensif (6 jours par semaine, 20 minutes par jour) avec des exercices de recherche visuelle et de discrimination (retrouver la même forme parmi des distracteurs…), des tâches de correspondance visuelle (similitude ou pas entre deux formes, lettres…), et enfin, des taches d’analyse visuelle (retrouver des mots parmi d’autres). Ces exercices sont administrés dans un ordre bien précis d’abord sur un matériel non-verbal (dessins, formes, symboles) puis ensuite verbal (lettres). Progressivement, le principe consiste à entraîner l’enfant à voir les groupements de lettres et non pas à se focaliser sur des stimulis (lettres) uniques.

Y a-t-il actuellement des avancées dans la prise en charge de la dyslexie ?

R-M. L. – J’aimerais bien ! En fait, si, il y a des nouveautés. Notamment des dispositifs liés à la vision qui permettent de jouer sur l’effet de rémanence visuelle. Certains patients ressentent des améliorations, d’autres pas mais il faudra déterminer quelle est la part de des dispositifs dans les progrès qu’ils enregistrent et, surtout, il sera nécessaire de réaliser des études scientifiques pour voir si cela fonctionne vraiment.

 

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