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#18057
Bonjour chers lecteurs,

Au vu des multiples apprentissages à venir pour valoriser sa candidature, prouver sa motivation avant d'intégrer un CFUO, je me suis dit qu'évoquer la capacité de faire plusieurs choses à la fois nécessitait qu'on s'y attarde. Dans les faits, est-ce vraiment possible de faire deux choses à la fois ? On va pas se mentir : entre les études, le dossier Parcoursup à construire, les connaissances à acquérir sur le métier, en biologie, en linguistique... la vie familiale et la vie privée, l'année va être bien remplie et il va falloir trouver des solutions.

"Il existe une littérature scientifique foisonnante concernant les difficultés que pose la réalisation de deux tâches complexes en même temps. Les articles de ce domaine s'attachent principalement à identifier ce qui a été appelé le «goulot d'étranglement central» («central bottleneck» en anglais). Ce goulot est constitué d'un ensemble de régions cérébrales impliquées dans toutes les tâches qui exigent de la concentration. Comme le goulot d'une bouteille qui limite la vitesse d'écoulement de l'eau, ce goulot cognitif –principalement situé dans le cortex préfrontal, une fois de plus– oblige les tâches qui demandent de la concentration à être réalisées les unes après les autres. Et ce n'est que lorsque certaines d'entre elles ont été suffisamment répétées pour devenir automatiques qu'il devient possible de les réaliser en même temps.

Ce que disent les neurosciences

Quand on a compris ce qu'était un task-set –cette représentation neuronale de la consigne d'une tâche–, il est facile de comprendre qu'avoir deux task-sets simultanément actifs dans le cortex préfrontal n'est pas une bonne idée, car au moment de percevoir un stimulus, les deux groupes de neurones tentent de déclencher des actions qui peuvent se contredire. Ils peuvent aussi se contredire concernant l'attention-set –ce à quoi il faut faire attention– et entrer en conflit au moment d'augmenter la sensibilité des régions sensorielles. Ce phénomène a été bien étudié dans des situations expérimentales demandant aux participants de passer rapidement d'une tâche à une autre.

Par exemple, lorsqu'une personne passe d'une tâche qui lui demandait de faire attention à des visages à une tâche de lecture, les régions de son cortex visuel sensibles aux visages restent dans un état de sensibilité accrue par un effet d'inertie, même si elles ne sont plus nécessaires. La personne continue, malgré elle, à faire attention aux visages, ce qui cause une baisse de performance dans la tâche de lecture proposée lors de l'expérience. En somme, mieux vaut avoir une seule intention claire à la fois, et un seul task-set, donc un seul groupe de neurones bien actifs.

[...]

La mémoire des intentions porte un nom : la «mémoire prospective». C'est la mémoire dans laquelle vient s'empiler tout ce qu'on a à faire plus tard (ou tout de suite après) et qu'il ne faut surtout pas oublier. C'est cette mémoire qui vous fait poser votre magazine et vous lever pour aller surveiller la cuisson des pâtes. Elle semble impliquer majoritairement le pôle frontal, qui est la région du cortex la plus en avant du cerveau, deux centimètres à peine derrière vos sourcils.

Cette région fascinante a des fonctions multiples; et l'une d'entre elles est de nous permettre d'envisager un contexte plus large que celui, immédiat, de la tâche que nous sommes en train d'accomplir. Elle constitue donc un garde-fou contre la tentation de se laisser engloutir dans cette tâche comme si rien d'autre n'existait. On peut aussi la considérer comme une source de distraction, puisqu'être concentré sur ce qu'on fait, c'est justement oublier quelques instants tout ce qu'on doit faire d'autre. Avec le pôle frontal, l'attention peut être rapidement tiraillée entre ce qu'on est en train de faire et ce qu'on devrait aussi faire, ce qui peut laisser l'impression désagréable d'un esprit déchiré, au sens du mot latin distrahere (d'où vient d'ailleurs le verbe «distraire»).

Mais on peut nuancer

Notre attention est forcément un peu distribuée. Quand nous traversons la rue en discutant au téléphone avec un ami, nous ne sommes pas exclusivement concentrés sur cette conversation. Nous veillons aussi à ne pas nous faire renverser, à arriver de l'autre côté avant que le feu ne passe au rouge, etc. Mais ces cas de figure sont particuliers parce que ces tâches annexes demandent un niveau de concentration très faible.

Et vous?

Un des signes distinctifs du «mauvais» multi-tâches est la sensation de surcharge mentale: l'impression d'être complètement débordé au point d'être incapable de faire quoi que ce soit d'efficace. Quand vous serez dans cette situation, ralentissez et marquez une pause, à la fois pour redonner le temps à votre cortex préfrontal de fonctionner efficacement, mais aussi pour noter très rapidement tout ce que vous avez «à faire» et désigner l'une de ces tâches comme prioritaire pour les minutes à venir.

Si vous le pouvez, fixez à l'avance la durée à consacrer à cette activité prioritaire: cinq ou dix minutes. Et si vous avez un minuteur à portée de main, il vous sera précieux car il vous permettra de tout oublier, même l'heure, pendant cette petite bulle de temps."

Source : Jean-Philippe Lachaux- 21 août 2020- The Conversation
https://theconversation.com/mecanismes- ... dre-143661

Pour aller plus loin : Jean-Philippe Lachaunx est un neuroscientifique et directeur du programme ATOLE, décrypte les mécanismes cérébraux en jeu en passant en revue trente idées reçues dans son ouvrage « L’attention, ça s’apprend », publié aux Éditions MDI, en partenariat avec le Réseau Canopé.