- mar. juin 29, 2021 10:52 am
#18287
Chers lecteurs,
Il est essentiel de rappeler que tout le mode peut se tromper, que tout le monde fait des erreurs mais quand quelqu'un vient à nous signaler une erreur d'orthographe, plus souvent nommée "faute", on fait s'écrouler le monde sous nos pieds comme si nous étions les pires êtres au monde. Pourquoi ? Tout simplement parce que celui qui sait se transforme en savant purgateur utilisant sa connaissance comme un pouvoir destructeur puisqu'au final il ne nous aura rien appris et aura veillé au passage à saper notre image et notre confiance. N'est pas pédagogue qui veut.
Voici quelques éléments d'un entretien mené auprès de François de Closets, journaliste et essayiste, ayant vécu cette terrible expérience de mauvais élève en orthographe- au sujet de son livre "Zéro faute"
"Je ne consacre que quelques pages à mon expérience personnelle, mais j’ai voulu rompre avec l’hypocrisie qui fait croire que tout le monde écrit aisément sans faute. Lorsqu’on est comme moi en grande difficulté avec l’orthographe, la stigmatisation est telle que l’erreur se transforme en faute morale, ce qui ne fait que renforcer l’échec. C’est ce poids de la faute qui m’a permis de surmonter ma dysorthographie juvénile. Mais ça ne fonctionne plus dans les jeunes générations. En évoquant ma propre histoire, j’envoie un triple message aux élèves. Premièrement, il est très courant d’éprouver des difficultés avec l’orthographe. Deuxièmement, cela ne signifie pas qu’on soit inapte à poursuivre des études. Troisièmement, en faisant les efforts nécessaires on peut toujours finir par écrire sans fautes quand c’est indispensable. Cela me semble être le discours moderne qu’il faut tenir aux jeunes.
J’ai voulu aussi distinguer le problème de l’orthographe de celui d’une maitrise insuffisante de la langue française, qui est une question bien plus grave et qui se pose en amont de l’orthographe. Finalement, se poser la question des « fautes », c’est un luxe de « lettrés », il faut déjà un minimum d’acquis et de maitrise.
Peu de gens, hélas, connaissent l’histoire de notre orthographe. Or, les « fautes » se trouvent d’abord dans la complication de celle-ci. Notre alphabet latin est peu adapté à une langue qui a largement incorporé des sonorités des langues germaniques, et les références latines (lettres étymologiques, etc.) introduites par les scribes du XVIe siècle ont parsemé les mots de lettres inaudibles. Mais jusqu’au XVIIIe siècle, il était admis qu’il y avait deux orthographes : une pour le privé, la correspondance (Diderot émaillait son courrier de nombreuses fautes, par fantaisie autant que par distraction !) et une pour les imprimeurs qui corrigeaient les manuscrits. Après la Révolution, on va exiger de tous les Français ce qu’on ne demandait qu’aux correcteurs d’imprimerie. Écrire sans faute devient une règle de savoir-vivre, un signe de distinction, se tromper est ridicule, un signe de grossièreté. On a réussi à transmettre sinon l’orthographe du moins la sacralité de son respect.
Pourquoi les adorateurs d’une orthographe éternelle ont-ils à ce point pignon sur rue, alors que la voix des linguistes, des historiens de la langue se fait si peu entendre ?
Toutes ces personnes ont bien peu accès aux médias ; en plus, ils viennent perturber l’ordre existant. Une réforme raisonnable aurait profité avant tout aux jeunes générations qui apprennent la langue, mais aurait perturbé ceux qui maitrisent l’orthographe, en font une affaire d’esthète, quand ils ne souhaitent pas que les suivants en bavent à leur tour à la découverte des bizarreries orthographiques. En revanche, les questions de langue n’intéressent pas grand monde. On ne trouve rien dans les librairies, j’en ai fait l’expérience, sur la disparition de la forme interrogative classique en français courant, alors que c’est bien plus important.
Quand je lis ce qu’écrivent certains intellectuels ou écrivains défenseurs du « ph » ou de l’accent circonflexe, je pense à la différence qu’il peut y avoir entre le croyant, le fidèle, attaché à des valeurs essentielles et le dévot qui lui s’intéresse au détail, aux rituels, aux apparences. La dictée de Pivot, c’est très bien comme jeu de société, mais si elle prend une dimension sociale alors on ne s’intéresse qu’à l’habillage de la langue, pas à son âme.
Plusieurs études récentes confirment bien une certaine chute dans l’orthographe des jeunes. Comment l’expliquer et surtout que faire ?
À l’école, suite à l’introduction de nombreux savoirs, on a moins de temps à consacrer à l’orthographe. Par ailleurs, la pédagogie autoritaire (« c’est comme ça et ça ne se discute pas ») ne marche plus, alors qu’elle convenait bien à un apprentissage de l’orthographe nécessitant beaucoup de mémorisation et peu de réflexion. Le fort recul constaté par les recherches entre 1987 et 2005 correspond enfin à la révolution informatique qui remet au premier plan l’écrit, mais sous une forme proche de la conversation. La rapidité de l’écriture, les jeux avec les mots largement pratiqués dans les chats et les SMS n’incitent guère au respect rigoureux des graphies canoniques.
La culpabilisation que j’éprouvais dans ma jeunesse parce que je faisais beaucoup de fautes tend à disparaitre. On en revient à ce que je décrivais pour le XVIIIe siècle : une écriture privée fantaisiste, une écriture professionnelle qui ne peut être que rigoureuse. À vouloir l’ignorer, on place le corps enseignant en situation d’échec. C’est inadmissible.
Face à cela, on peut se réfugier dans la nostalgie, ou essayer d’agir. Il faut se fixer des objectifs réalistes : savoir bien manier le correcteur orthographique pour livrer des textes impeccables lorsque leur statut l’oblige. Je ne crois plus à la grande réforme. Appliquons déjà les modifications récentes (comme je l’ai fait dans mon livre pour les derniers chapitres, sans qu’on voie vraiment la différence), mais ne rêvons pas à quelque chose qui n’est pas accepté socialement. Intéressons-nous davantage à l’orthographe grammaticale, à l’acquisition d’automatismes, qui sont indispensables au bon usage des correcticiels. Mais regardons la réalité en face : l’écrit ordinaire, privé, respectera de moins en moins les règles.
La sacralisation de l’orthographe fait partie des blocages de la société française. Et si on ne peut plus trop espérer la simplifier, soyons pragmatiques et étudions davantage les apports de l’informatique (mais le correcteur d’orthographe n’est pas l’équivalent de l’écrivain public qui livre un texte « parfait » à partir d’un premier jet), mais aussi ce qui peut être fait à l’école pour permettre à tous d’être capables d’écrire un texte à l’aide d’un correcteur, qui est indispensable dans le monde d’aujourd’hui."
Je conclurai simplement qu'il appartient à chacun de transmettre son savoir sans réciter des règles par cœur. Il s'agit de donner du sens à nos propos pour qu'ils aient un minimum d'intérêt et de portée pour celui qui les reçoit. Transmettre, c'est construire à deux.
Kara
Propos recueillis par Patrice Bride et Jean-Michel Zakhartchouk.
A propos de son ouvrage "Zéro faute"
www.cahiers-pedagogiques.com
Publié en décembre 2009
Il est essentiel de rappeler que tout le mode peut se tromper, que tout le monde fait des erreurs mais quand quelqu'un vient à nous signaler une erreur d'orthographe, plus souvent nommée "faute", on fait s'écrouler le monde sous nos pieds comme si nous étions les pires êtres au monde. Pourquoi ? Tout simplement parce que celui qui sait se transforme en savant purgateur utilisant sa connaissance comme un pouvoir destructeur puisqu'au final il ne nous aura rien appris et aura veillé au passage à saper notre image et notre confiance. N'est pas pédagogue qui veut.
Voici quelques éléments d'un entretien mené auprès de François de Closets, journaliste et essayiste, ayant vécu cette terrible expérience de mauvais élève en orthographe- au sujet de son livre "Zéro faute"
"Je ne consacre que quelques pages à mon expérience personnelle, mais j’ai voulu rompre avec l’hypocrisie qui fait croire que tout le monde écrit aisément sans faute. Lorsqu’on est comme moi en grande difficulté avec l’orthographe, la stigmatisation est telle que l’erreur se transforme en faute morale, ce qui ne fait que renforcer l’échec. C’est ce poids de la faute qui m’a permis de surmonter ma dysorthographie juvénile. Mais ça ne fonctionne plus dans les jeunes générations. En évoquant ma propre histoire, j’envoie un triple message aux élèves. Premièrement, il est très courant d’éprouver des difficultés avec l’orthographe. Deuxièmement, cela ne signifie pas qu’on soit inapte à poursuivre des études. Troisièmement, en faisant les efforts nécessaires on peut toujours finir par écrire sans fautes quand c’est indispensable. Cela me semble être le discours moderne qu’il faut tenir aux jeunes.
J’ai voulu aussi distinguer le problème de l’orthographe de celui d’une maitrise insuffisante de la langue française, qui est une question bien plus grave et qui se pose en amont de l’orthographe. Finalement, se poser la question des « fautes », c’est un luxe de « lettrés », il faut déjà un minimum d’acquis et de maitrise.
Peu de gens, hélas, connaissent l’histoire de notre orthographe. Or, les « fautes » se trouvent d’abord dans la complication de celle-ci. Notre alphabet latin est peu adapté à une langue qui a largement incorporé des sonorités des langues germaniques, et les références latines (lettres étymologiques, etc.) introduites par les scribes du XVIe siècle ont parsemé les mots de lettres inaudibles. Mais jusqu’au XVIIIe siècle, il était admis qu’il y avait deux orthographes : une pour le privé, la correspondance (Diderot émaillait son courrier de nombreuses fautes, par fantaisie autant que par distraction !) et une pour les imprimeurs qui corrigeaient les manuscrits. Après la Révolution, on va exiger de tous les Français ce qu’on ne demandait qu’aux correcteurs d’imprimerie. Écrire sans faute devient une règle de savoir-vivre, un signe de distinction, se tromper est ridicule, un signe de grossièreté. On a réussi à transmettre sinon l’orthographe du moins la sacralité de son respect.
Pourquoi les adorateurs d’une orthographe éternelle ont-ils à ce point pignon sur rue, alors que la voix des linguistes, des historiens de la langue se fait si peu entendre ?
Toutes ces personnes ont bien peu accès aux médias ; en plus, ils viennent perturber l’ordre existant. Une réforme raisonnable aurait profité avant tout aux jeunes générations qui apprennent la langue, mais aurait perturbé ceux qui maitrisent l’orthographe, en font une affaire d’esthète, quand ils ne souhaitent pas que les suivants en bavent à leur tour à la découverte des bizarreries orthographiques. En revanche, les questions de langue n’intéressent pas grand monde. On ne trouve rien dans les librairies, j’en ai fait l’expérience, sur la disparition de la forme interrogative classique en français courant, alors que c’est bien plus important.
Quand je lis ce qu’écrivent certains intellectuels ou écrivains défenseurs du « ph » ou de l’accent circonflexe, je pense à la différence qu’il peut y avoir entre le croyant, le fidèle, attaché à des valeurs essentielles et le dévot qui lui s’intéresse au détail, aux rituels, aux apparences. La dictée de Pivot, c’est très bien comme jeu de société, mais si elle prend une dimension sociale alors on ne s’intéresse qu’à l’habillage de la langue, pas à son âme.
Plusieurs études récentes confirment bien une certaine chute dans l’orthographe des jeunes. Comment l’expliquer et surtout que faire ?
À l’école, suite à l’introduction de nombreux savoirs, on a moins de temps à consacrer à l’orthographe. Par ailleurs, la pédagogie autoritaire (« c’est comme ça et ça ne se discute pas ») ne marche plus, alors qu’elle convenait bien à un apprentissage de l’orthographe nécessitant beaucoup de mémorisation et peu de réflexion. Le fort recul constaté par les recherches entre 1987 et 2005 correspond enfin à la révolution informatique qui remet au premier plan l’écrit, mais sous une forme proche de la conversation. La rapidité de l’écriture, les jeux avec les mots largement pratiqués dans les chats et les SMS n’incitent guère au respect rigoureux des graphies canoniques.
La culpabilisation que j’éprouvais dans ma jeunesse parce que je faisais beaucoup de fautes tend à disparaitre. On en revient à ce que je décrivais pour le XVIIIe siècle : une écriture privée fantaisiste, une écriture professionnelle qui ne peut être que rigoureuse. À vouloir l’ignorer, on place le corps enseignant en situation d’échec. C’est inadmissible.
Face à cela, on peut se réfugier dans la nostalgie, ou essayer d’agir. Il faut se fixer des objectifs réalistes : savoir bien manier le correcteur orthographique pour livrer des textes impeccables lorsque leur statut l’oblige. Je ne crois plus à la grande réforme. Appliquons déjà les modifications récentes (comme je l’ai fait dans mon livre pour les derniers chapitres, sans qu’on voie vraiment la différence), mais ne rêvons pas à quelque chose qui n’est pas accepté socialement. Intéressons-nous davantage à l’orthographe grammaticale, à l’acquisition d’automatismes, qui sont indispensables au bon usage des correcticiels. Mais regardons la réalité en face : l’écrit ordinaire, privé, respectera de moins en moins les règles.
La sacralisation de l’orthographe fait partie des blocages de la société française. Et si on ne peut plus trop espérer la simplifier, soyons pragmatiques et étudions davantage les apports de l’informatique (mais le correcteur d’orthographe n’est pas l’équivalent de l’écrivain public qui livre un texte « parfait » à partir d’un premier jet), mais aussi ce qui peut être fait à l’école pour permettre à tous d’être capables d’écrire un texte à l’aide d’un correcteur, qui est indispensable dans le monde d’aujourd’hui."
Je conclurai simplement qu'il appartient à chacun de transmettre son savoir sans réciter des règles par cœur. Il s'agit de donner du sens à nos propos pour qu'ils aient un minimum d'intérêt et de portée pour celui qui les reçoit. Transmettre, c'est construire à deux.
Kara
Propos recueillis par Patrice Bride et Jean-Michel Zakhartchouk.
A propos de son ouvrage "Zéro faute"
www.cahiers-pedagogiques.com
Publié en décembre 2009